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F. Marc

L’expression « concert des nations » est souvent utilisée dans les discours des hommes politiques et demande d’être explicitée au petit Toussian pour qu’on ne l’emploie plus. D’après le Petit Larousse illustré de 1990, le mot « concert » a quatre significations :

La quatrième définition convient bien à la réalité qui est décrite dans les discours politiques. Petit Toussian, en quoi pouvez-vous entrer en accord ou en harmonie avec les autres nations ? Je pense qu’il faut sortir de ce concert des nations qui n’est qu’une idéologie masquée pour berner vos espoirs et vos attentes. Ce concert des nations vous conduit à écouter et à entendre la même musique, les mêmes sonorités ou à jouer les mêmes instruments, ou à esquisser les mêmes pas de danses.

Au bal populaire, vous entendez la même musique mais chacun y a va à sa manière, et parfois avec un rythme qui lui est propre. De plus, tous n’ont pas les mêmes gestes ni la même souplesse, même s’ils écoutent la même musique. C’est le meilleur lieu de la créativité le plus extraordinaire. Mais le concert des nations est un concert où vous êtes obligés d’adopter des textes qui ne coïncident toujours pas avec les intérêts  de vos peuples. Vous êtes contraints de prendre des décisions qui condamnent les générations futures. Et vous appelez cela principe de responsabilité ! A ce concert, vous êtes obligés d’opter pour la modernité, pour le développement, pour la mondialisation, pour l’occidentalisation. Vous n’y arriverez jamais si vous voulez les suivre et les imiter ! A ce concert, vous êtes simplement spectateur et consommateur.

La vitesse à laquelle certaines sociétés se développent, se modernisent, se mondialisent est grande ; une « super-vitesse » sans arrêt. Vous ne pourrez jamais les rattraper parce qu’elles ne s’arrêteront pas de se développer, de se moderniser…cela est évident si vous concevez que le développement, la modernité, l’occidentalisation est une suite rectiligne comme on partirait d’un point A pour atteindre un point B. Vous ne pourrez jamais rattraper des pays qui sont « bien partis » alors que vous, vous êtes « mal partis » d’après leur jugement. Ce n’est pas une course de vitesse.

Dans ce concert, on ne s’entend pas ! Personne n’entend l’autre et personne n’écoute personne, personne n’attend personne ! C’est comme la danse des sourds et des estropiés-aveugles du Théologien et Sociologue Jean-Marc Ela. Ce concert est mauvais. Il faut sortir du concert des nations pour tracer votre route, votre itinéraire, votre modernité, votre développement, comme vous le voulez. Rien n’ira dans votre intérêt tant que vous n’avez pas défini ce que signifie pour vous se développer, se moderniser, etc. Si vous copiez les pas de danses des autres, le concert devient un ballet où il y a une tête qui vous dicte les pas à exécuter afin que l’ensemble soit cohérent. Non à cette modernité ! C’est une idéologie pour vous ! Non à la mondialisation ou à la globalisation ! Non au développement synonyme d’occidentalisation ! C’est une idéologie ! C’est faux pour vous ! Ce n’est pas vrai pour vous mon pauvre Toussian ! Réveillez-vous et tracez votre itinéraire qui peut être parallèle, perpendiculaire, aux autres itinéraires connus.

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Les sociétés modernes, mondialisées, globalisées, développées montrent déjà des limites ainsi que le décrit le théologien Johann Baptist Metz (1999, p.96-97) :

« Qui pourrait avoir une identité plus fragile que le prétendu ‘’homme moderne’’ ? Intégré dans les systèmes complexes de la société fonctionnant eux-mêmes déjà de manière quasi anonyme, il est en danger de perdre toujours plus son visage […] et de perdre son nom ; ses rêves et son imagination ne suivent plus et sont nivelés ; au nom de l’évolution et de l’avancée technologique, il régresse toujours plus vers un stade animal, adapté à tout, au stade d’une machine bien huilée. »

Les pays dits développés, modernes ou mondialisés s’aperçoivent de plus en plus qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans leur concert : les uns piétinent les autres en dansant, les autres donnent des coups de coudes à leurs voisins ; les chaussures qu’ils portent pour la danse se dégradent ou se décollent : elles ne tiennent plus ; le désordre est presqu’au comble parce qu’ils écoutent la même musique mais n’entendent plus le même son, etc. Mais la machine est lancée, bien partie. Elle rapporte tellement d’argent qu’il est impossible de l’arrêter, de la stopper ou de faire marche arrière. Le concert se poursuivra malgré tout. C’est vous qui souffrez, c’est vous qu’on piétine. La souffrance, c’est chez vous. C’est à ce concert-là que vous êtes invités. N’y allez pas ou revenez à de meilleures visions.

On vous traite de « société traditionnelle » ? Acceptez, car ce n’est pas mauvais en soi. La Brakina n’est pas mieux que le bangui. La tradition devient mauvaise quand elle est vécue comme traditionalisme qui fige le passé et en fait le critère absolu de lecture du présent et de l’avenir. La tradition c’est une révolution silencieuse qui intègre les éléments nouveaux qu’elle rencontre ; c’est le cœur battant de la culture sans laquelle il n’y a pas d’être humain ni de développement authentique. Par ailleurs comme le disait Singleton cité par Jean-Marc Ela (1998, p.44) : « Notre projet, dit-il, c’est le développement. Il est impossible qu’il puisse y avoir de développement qui ne soit pas situé culturellement, enraciné dans une histoire. Le développement est synonyme d’occident. C’est le projet occidental. Ne nous leurrons pas : qui parle de ‘’développement’’, parle d’occidentalisation. » Si tel est le développement, il faut le rejeter et trouver des concepts pour traduire ce que vous voulez pour votre Afrique ou votre pays : un bien-être, un mieux-être qui prend vraiment en compte l’être humain.

Le « concert des nations » est prêté à l’Afrique pour vous berner et si vous succombez à cette idéologie, vous aurez droit à un modèle unique à copier. C’est pourquoi certains vous parlent de « village planétaire », du monde comme village. Ce n’est peut-être pas si faux ! Si vous refusez que quelques personnes déterminent votre vie, choisissent des valeurs pour vous... Petit Toussian, vous n’avez pas cette force. C’est donc faux pour vous ! C’est une idéologie. Si l’on y prend garde les moyens de communication appauvrissent et enferment dans un nouveau système d’esclavage. Que de relations, de rencontres ils tuent pour en créer de virtuelles, de liquides (Cf. Zygmunt Bauman, 2010, p.5). Vous ne pouvez pas vous comparer à d’autres ! Vous êtes, vous ! Mais si vous voulez faire comme les autres, si vous voulez le concert, faites le vôtre juste à côté des autres, de façon parallèle ou prenez une autre direction. S’ils vont vers l’Ouest, vous, allez vers l’Est. C’est là où se trouve le soleil levant pour vous. « Car c’est toujours à partir des sociétés dites ‘’développées’’ que l’on tend à comprendre les sociétés dites ‘’sous-développées’’ » (J.B. Metz, 1999, p.58). Et ça, c’est un cliché affiché qui perdure. Vous pouvez changer cela !

Souvenez-vous de mes articles précédents où il est question de vision, d’anthropologie, de créativité, d’innovation… Votre vision du monde, des relations, de la famille, de la solidarité, du commerce s’accorde mal avec ce qui vous est présenté comme développement, progrès, modernité, mondialisation. Vous avez accepté un silence qui vous a desservi. Soyez fiers de vous-mêmes et de votre pays. Votre souci, c’est d’inciter à la créativité, à la transformation sur place de vos matières premières, d’encourager les animateurs de vos sociétés à l’honnêteté dans la gestion, au déploiement d’activités génératrices de revenus pour vos jeunes : la voirie seule dans vos villes peut occuper des milliers de jeunes (rues, routes, caniveaux, etc.).

TP

 

Vous avez des besoins immenses de tables, de meubles, de bancs, de chaises… alors il faut la menuiserie-bois ou métallique. Vous avez des besoins de réparation de vos véhicules deux, trois ou quatre roues… alors il faut des ateliers de mécanique. Vous avez besoin d’électricité pour tous… alors il vous faut créer des ateliers de formation au solaire, à l’électricité. Vous voulez vous habiller…alors il faut ouvrir des centres de formation en coupe et couture. Vous voulez vous nourrir correctement avec des produits bio… alors il faut trouver des stratégies pour la culture attelée, motorisée  pour réduire aussi la faim; il faut sortir les ingénieurs agronomes des bureaux climatisés pour les envoyer au champ. Car vous avez faim et eux ils ont froid dans leur bureau. Vous voulez de la viande, du poisson… inutile de les importer ! Vous pouvez investir et produire suffisamment pour votre pays. Vous voulez vous loger dans des maisons solides, belles… alors il faut ouvrir des ateliers de maçonnerie, former des architectes, des ingénieurs en génie civil et les envoyer tous sur le terrain. Ce qui vous manque le plus (manger, boire, se vêtir, dormir, se soigner…) vous pouvez l’avoir dans votre pays à moindre coût ! Ce sont des activités qu’il faut développer dans votre pays. Tant que vos besoins primaires resteront insatisfaits, tant que votre marché sera occupé par des produits de premières nécessités venus d’ailleurs vous resterez toujours dans le besoin. Si vous acceptez les idéologies que j’ai évoquées, voici ce qui vous attend : guerre, individualisme égocentrique, appauvrissement, endettement à outrance, corruption, poubelles des autres ; des humanitaires seront à vos côtés pour vous enlever toute liberté et  responsabilité.

Vous avez un combat qui s’est engagé à votre insu : le combat de deux cultures ou pour être plus positif, la rencontre de deux cultures. Vos cultures ne peuvent-elles pas être une dimension du développement ? C’est l’interrogation de Jean-Marc Ela. thDFNWEB6E

Vos cultures doivent impulser le bien-être et résister aux cultures envahisseuses : « En reconnaissant que la culture des sociétés occidentales est le seul noyau du développement, il faut s’attendre à ce que celui-ci ne se réalise que par la destruction des cultures qui lui résistent » (JM Ela, p50). Il est évident que votre culture est entrain d’être détruite très astucieusement. Vous adoptez des choses, des manières de faire, de vivre qui n’ont rien à voir avec votre culture. Prenez ce qui est bien chez eux mais n’oubliez pas ce qui est bien chez vous. Nous avons défini plus haut le concert comme un accord, une harmonie entre des personnes ou des groupes. Comment faire pour retrouver un accord, une harmonie entre les cultures sans se dissoudre dans l’autre comme du sel dans l’eau ? Danser, chanter, faire la fête ne suffisent pas.

Il faut s’attaquer d’abord aux cliqués que vous maintenez et transmettez de génération en génération qui vous dévalorisent profondément : chacun peut faire la liste car elle très longue ! Que dites-vous, de vous-mêmes et des autres ? Généralement, le négatif ! Les jeunes générations veulent être à la mode (modernes, développées, mondialisées, occidentalisées) contre ce qui n’est pas à la mode selon ces idéologies (la culture, la tradition). C’est une erreur de croire qu’on peut se développer sans sa culture, que le développement signifie rupture avec la tradition ! Erreur ! Le développement est porté par une culture qui doit être enrichie de génération en génération. Dansez et portez vos tenues traditionnelles ; organisez vos fêtes de l’indépendance, mangez et buvez, mais vous êtes encore loin d’être partis ! Innovez ! Créez ! Inventer ! Transformer votre milieu de vie !

En vérité, je te le dis : la force culturelle des pays développés s’impose à vous et vous conduit à déprécier « ce en quoi vous demeurer ». Tout développement est d’abord culturel. Toute modernisation passe par la culture. Toute mondialisation passe par la culture. C’est une culture qui se développe, se modernise et s’exporte jusque dans vos cuisines, dans vos salons, vos couchettes, vos moyens de déplacement, vos systèmes de santé, vos programmes d’éducation et même vos schèmes de réflexion. Qu’avez-vous à partager avec les autres pour que l’interculturalité (rencontre de cultures) soit féconde ? Il faut qu’il y ait enrichissement mutuel. Tant que ce sont les autres qui viennent chez vous pour vous enrichir ou pour créer des richesses pour vous au XXIe siècle, il manquera un espace « entre-deux » d’énonciation de votre particularité. Cela signifierait que vous ne pouvez rien faire ni apporter à ce monde en termes de créativité ou d’innovation. Certains des pays développés se plaignent de vous et disent que vous passez votre vie à vous reproduire simplement (physiquement, culturellement, etc.) au lieu de produire, de créer, d’inventer, de faire autrement ce qui se faisait dans le passé. Votre daba pour le labourage, par exemple, n’a pas évolué, n’a pas été perfectionnée, et ce depuis des siècles. Vous l’utilisez depuis des générations comme un outil parfait. Johann Baptist Metz vous rappelle qu’il y a une chose à éviter : « la conservation de la tradition sans que soit créée une tradition, c’est-à-dire un pur traditionalisme ; une incapacité croissante […]. » (J.B. Metz, p.117). Comment on va faire ? disent les Toussian ? Ka Mana vous répond avec trois révolutions à opérer :

Le résultat de ces remises en question entraînera, selon Ka Mana, « la puissance du concret pour  une révolution communautaire ». Il s’agit de faire de l’école le socle pour l’invention d’une société autre : l’expression d’une alternative face à tout ce qui s’impose à vous !

Marc SOME, féc.