A la suite de notre premier article, la question d’une vision en éducation s’est posée à nous. Il nous semble que nous avons besoin d’une relecture de la vision qui engage l’éducation d’aujourd’hui et l’avenir.
Notre propos, porte une angoisse : quelles sont les exigences fondamentales en éducation pour transformer la société de la manière la plus positive et la plus fertile possible ? Il nous semble que notre présent (Educateurs, Enseignants, Religieux) est sans avenir si nous ne lui donnons pas une autre vision, une autre dynamique à inventer. Nous avons besoin d’anticiper, d’innover et de remobiliser nos forces et nos stratégies.
Pour donner une suite à cette angoisse, nous avons trouvé une clé d’interprétation pour notre présent-futur chez le philosophe et théologien Ka Mana. Il réfléchit sur un nouvel imaginaire éducatif pour la formation des générations présentes et futures. Il tente de proposer une orientation globale pour sortir les sociétés africaines de ‘’certaines pathologies’’ dont souffrent leurs systèmes éducatifs. Ka Mana propose trois impératifs qui sont autant d’expériences pour l’éducation : les impératifs éthiques, spirituels et politiques. A partir de ces impératifs, Ka Mana définit les valeurs à promouvoir.
Le style dynamique de l’auteur nous fait ressentir davantage l’extrême importance de l’éducation pour nos peuples d’Afrique d’aujourd’hui. Selon notre auteur, l’éducation est devenue pour tous les peuples « la source, le suc et l’énergie sans lesquels il n’y a ni maîtrise du destin, ni création de richesses véritables, ni possibilités d’invention d’un avenir digne de l’humanité » (déjà cité. p.11). L’essentiel en éducation consiste à faire émerger « un imaginaire d’humanité » pour une politique, une économie, une culture et un esprit social au service de l’humain.
Nous pensons que les Frères peuvent s’approprier cette réflexion pour la traduire de manière concrète dans leur charisme. Ce sera une manière d’être présent dans le débat actuel sur l’éducation, d’évaluer la pertinence de nos actions éducatives d’aujourd’hui pour demain.
Reprenant à mon compte quelques idées issues de l’entretien du Supérieur Général Robert avec les Frères des communautés de Paris, je voudrais à mon tour montrer qu’il y a un travail de relecture et même d’interprétation de l’esprit de Saint JBS à faire en contexte burkinabè. Sans cette reprise créatrice dans la fidélité, nous suivrons ‘’panurgiquement’’ les sillons tracés par d’autres qui ont montré leurs limites cinquante ans ou trois siècles plus tard.
Depuis la Déclaration, les Frères en France ont senti la fin d’un monde et le début d’un autre. C’est ce nouveau monde qu’a porté la Déclaration. Les traditions héritées semblaient avoir perdu un peu de leur sens. Malgré tout, les Frères ont su renouveler leur engagement en faveur des pauvres et demeurer éducateurs ou catéchistes avec leur style propre. Ils sont restés fidèles à la sequela Christi malgré les différents changements importants survenus dont la sécularisation et l’idéologie laïciste. Les Frères ont été les architectes, selon les mots du Frère Supérieur, de ce renouveau.
Si les Frères ont été des architectes, c’est parce qu’ils ont transformé la face de l’Institut en lui donnant une autre beauté, un autre rayonnement. Plusieurs Frères, pour exemple, sont allés hors de la France pour continuer la mission d’éducation… C’est la sortie de chez soi pour aller vers les autres en apôtres qui a donné un rayonnement heureux à l’Institut.
L’image du travail d’architecte dont parle le Supérieur Général a retenu mon attention. Aristote disait que les juges doivent se servir de la même règle que les architectes. L’idée intéressante est que les architectes se servaient d’une règle très simple pour prendre des mesures. « C’était une règle de plomb, donc souple, capable de s’adapter à des formes diverses, par exemple pour mesurer la courbe d’un portique ou les reliefs d’une colonne.» Comme architectes, les Frères ont su ‘’adapter’’ l’Institut aux réalités auxquelles ils faisaient face. Bref ! Le modèle ou cette démarche est proposée à toutes les régions de l’Institut qui connaissent d’autres réalités, des situations particulières. La prise en compte de nos réalités nouvelles se fera d’abord par la réflexion et la discussion.
Les Frères Français ont fait leur travail d’architecture en mettant en place de nouvelles structures et une nouvelle vision qui correspondent à leurs réalités et qui donnent sens à des hommes et des femmes : la création de Fraternités, de Réseau La Salle, de Tutelles, de Chefs d’établissements laïcs, etc. sont quelques solutions propres à la France, fruits de plusieurs réflexions. D’après les mots du Frère Supérieur, les Frères en France n’ont pas transmis la mission aux laïcs mais ils ont intégrés les laïcs dans la mission lasallienne.
Aujourd’hui, les Frères en Afrique et au Burkina en particulier ont d’autres défis, d’autres réalités ou problématiques. Il leur appartient d’interpréter la réalité à la lumière de l’Esprit de Jésus sur les traces de St JBS pour donner ‘’sens ajouté’’ à leur mission. Il ne faut pas attendre… Il sera peut-être tard. Tout en demandant à l’Esprit Saint le sort qui nous est réservé, nous pouvons commencer par faire ce qui nous dépend de nous : réfléchir pour agir !
Marc SOME, féc